Comme une odeur d'esturgeon mort.


Un jour gris de Novembre, il a pris sa decision. Oh bien sur inconsciemment il avait deja decide il y a longtemps. On croit que l'on reflechit alors qu'en realite il nous faut juste un peu de temps pour nous convaincre de la decision que nous avons prise dans la seconde. Ainsi donc, ce jour gris de Novembre il s'est convaincu. Comme si un scorpion venait de tomber dans sa culotte, il s'est leve d'un coup, a fini son verre, pose la monnaie sur la table et s'est dirige d'un pas sur vers la sortie.
"...sieme jour de l'offensive allemande, la ville de Volgograd compte desormais..." Il n'entend pas les informations que le poste de radio gresille aux clients acoudes au comptoir. Alors qu'il atteint la porte, un vieux tasse sous un beret trop lourd lui lance "bon courage Nikolai" sans meme lever les yeux de son journal. Et Nikolai ne l'entend pas non plus. Tout comme il ne sent pas le froid tranchant s'engouffrer dans son vetement use.
C'etait il y a trois jours seulement, et pourtant Nikolai a l'impression que c'etait il y des annees. Ces trois derniers jours, apres avoir traverse la mer Caspienne, il a recu un fusil et s'est jete dans la boue. Il a rampe quelques dizaines de metres puis s'est arrete petrifie. La premiere journee il est reste fige parmi les cadavres. La deuxieme journee au moment ou il s'est dit qu'il ne pouvait pas mourir en lache un obus a cisaille un jeune qui courait vers l'ennemi. Nikolai pense que c'etait un jeune de son village. Des centaines de cadavres jonchaient le sol sur lequel il etait vautre depuis deux jours, mais celui la c'etait different. Parce que peut etre il le connaissait, la mort est devenue encore plus degeulasse. Alors il est reste dans la boue. Il ne sait meme plus ce qu'il attend ou ce qui l'attend. Il commence a delirer.
Probablement qu'il mourra de froid la nuit prochaine, ou peut etre que la folie aura raison de lui et qu'il va enfin se jeter dans la bataille et se faire tuer comme tous les autres. Ou alors un obus. Apres tout quand on est allonge dans la boue, on n'est pas a l'abris des obus.
Et alors qu'il n'arrive pas a se convaincre du choix qu'il a deja fait (il va rester couche dans la boue en esperant mourir de froid dans la nuit) il repense a Agata. Agata danse le soir dans un bar de Baku. Il aime ce bar, le sol est boueux mais l'ambiance est chaleureuse. Parce que l'alcool est pas cher et qu' Agata danse comme si la fievre allait l'emporter. Ca le rechauffe de penser a Agata.
Et puis il se dit qu'Agata n'aurait pas aime qu'il soit lache. Alors comme si un scorpion venait de lui remonter le long de la jambe, il s'est leve d'un coup d'un seul, ses yeux se sont enflammes et alors qu'il allait crier toute sa haine de l'ennemi invisible, il a juste pousse un petit son rauque, celui que fait l'air quand les poumons se vident une bonne fois pour toute. Et puis il est retombe dans la boue, son corps troue par la mitrailleuse ennemi.
Parce que dans les vraies histoires on a peur et on meurt. Mais aussi parce que dans la vraie histoire Agata sera triste quand meme.